sédiments particuliers de la vallée du Jabron.

Sédiments particuliers liés aux turbidites sableuses dans le bassin Vocontien

Lorsqu’on consulte  les cartes géologiques concernant le bassin Vocontien, on constate que les terrains marneux de l’aptien et de l’albien sont qualifiés de marnes bleues et les étages gargasien et albien ne sont pas différenciés. Pourquoi ?

Une partie de l’explication, visible sur le terrain, est d’ordre stratigraphique :

——Dans un bassin, les dépôts sont généralement superposés. C’est le cas pour le  bassin Vocontien qui présente une sédimentation continue du callovien (terres noires) jusqu’au turonien. Sédiments caractéristiques d’un bassin et de son talus : série de marnocalcaires plus grossiers dans le talus, plus fins au cœur du bassin. ph 1-2

Cette superposition est parfois perturbée par des avalanches de débris –calcarénites- liées à la progradation de la plateforme carbonatée urgonienne sur le bassin et/ou des slumps comme ici sous la crête du Chalmel où plusieurs zones de slumps marquent les instabilités (séismes) liées à l’ouverture du bassin Vocontien à l’hauterivien. ph 3

——Parfois, au cours de son histoire, suite à de fortes avalanches de débris, de turbidites massives, les couches sont profondément érodées, formant des canyons abrupts, qui se remplissent de sédiments plus récents pouvant se retrouver plus bas que les sédiments (plus anciens) du fond du bassin avant érosion.                                                                                     Les dépôts ne sont plus superposés mais emboîtés. ph4

C’est ce qui se passe du gargasien à l’albien où les calcarénites sont remplacées par des grès grossiers à glauconie, suite à l’ennoyage de la plateforme carbonatée urgonienne. S’installe alors, une sédimentation marneuse (marnes bleues, milieu profond) malgré le serrage qui commence avec par exemple la surrection du bombement durancien qui va être suivi par le chevauchement Ventoux-Lure.                                                                                      Les turbidites gréseuses provenant des marges du bassin dévalent le talus et s’étalent dans le bassin, perturbant la sédimentation des marnes bleues. ph5

——–Dans les chenaux de ces turbidites sableuses (gréseuses après diagénèse), d’une épaisseur d’au moins 1m, on trouve des boules de grès.

Ces boules ont une origine diagénétique. Elles ont en leur centre un nucleus qui peut être un ou plusieurs galets mous carbonatés, arrachés à la pente du talus par la turbidite. ph6-7-8. Une cimentation carbonatée centrifuge va être plus poussée autour des galets mous que dans l’ensemble du sédiment sableux que constitue la turbidite. La cimentation cesse lorsque le stock de carbonates en solution apporté par  l’eau de mer circulante au sein de la masse sableuse est épuisé.                                                                                                                          Les boules de Rosans sont les plus spectaculaires ; elles viennent de la marge Ouest du bassin Vocontien (marge ardéchoise). .ph 4-5-9-10-11.

Celles d’Ongles, Carniol, Bevons, viennent de la marge Sud (pentes de Lure).ph 5-12-13-14-15.

C’est dans les bassins de ce type qu’on recherche aujourd’hui les gaz de schiste.

Quel en est le principe ?

Le gaz de schiste est du méthane CH4 qui provient de la dégradation de la matière organique piégée dans les sédiments (roche mère). Dégradation  d’origine bactérienne pour des températures inférieures à 50°C, voire un peu plus.

La migration du méthane (mais aussi de tous les autres hydrocarbures liquides)  vers le haut est possible si la roche mère est perméable ou fracturée.                                                    Ainsi du bitume formé à l’oligocène dans la plaine de la Limagne suinte à la cadence d’un litre par jour (c’est peu !) en suivant une faille qui n’est autre que la cheminée du petit volcan du Puy de la Poix, situé en Limagne,  non loin de l’aéroport de Clermont-Ferrand. ph16-17-18. Arrivé en surface, ce bitume perd ses éléments les plus volatils et devient très visqueux. ph19.                                                                                                                                    Cependant, dans la plupart des cas, la migration est bloquée par une couche imperméable  en antiforme ; les produits vont alors s’accumuler dans une roche magasin où ils imprègnent la porosité de cette roche.

Ce qu’on appelle vraiment gaz de schiste est du méthane encore contenu dans sa roche mère qui est imperméable. Il se trouve piégé dans les micropores de la roche ou adsorbé sur les particules en feuillets des argiles : on ne peut donc l’extraire  par les moyens habituels que sont les forages.

La technique d’exploitation du gaz de schiste est donc de rendre la roche mère perméable par fracturation hydraulique associée à des forages horizontaux.

Exemple ph20.

Dans un bassin, on fore à 2000m de profondeur.                                                                                      La pression lithostatique répond à la formule suivante :  P litho  =  mgz     en pascals.  m = masse volumique de la roche sédimentaire soit 2,5g/cm3 ou 2500kg/m3  g = accélération de la pesanteur soit 10m/s2    et z la profondeur en mètres.

Donc P litho   =   2500x 10×2000  =  5.107 Pa

Après forage, l’eau injectée à 2000m est à la pression :  m = 1g/cm3 ou 1000 kg/m3

P eau  = 1000x10x2000  = 2.107 Pa

Donc si on ajoute, avec de gros compresseurs, à l’eau du forage, une pression supérieure à 3.107 Pa, la pression du liquide injecté sera supérieure à la pression lithostatique.  Il va s’insinuer entre les feuillets argileux, fracturer la roche, écarter les bords de la fracture qui va se propager et donc rendre la roche perméable. Pour peu qu’on ajoute à l’eau surcomprimée du sable, il ira, lui aussi, s’insinuer dans les fractures et empêcher qu’elles ne se referment lors de l’arrêt de la surpression à la fin du forage. Le méthane (ou autres hydrocarbures)  migre le long de ces nouvelles fractures, atteint le tube de forage et remonte en surface où il doit être stocké dans des réservoirs ou évacué par des gazoducs.

C’est ce qui s’est produit naturellement dans le bassin Vocontien, en particulier dans ce qui est aujourd’hui la vallée du Jabron,  entre l’albien et le cénomanien, à partir de turbidites sableuses de l’albien moyen.

Y a-t-il eu émission en surface de méthane ou autre hydrocarbure ? L’érosion est passée par là et /ou le bassin n’était pas assez profond pour que du méthane se forme.

Suite à la lecture d’articles de G.Friès, O.Parize, JL.Rubino et surtout de la thèse de Damien Monnier 2013, nous sommes allés voir sur le terrain, dans la vallée du Jabron, entre les communes de Bevons et Noyer sur jabron(04), non loin de Sisteron.

Cette partie du bassin Vocontien constitue aujourd’hui un synclinal d’axe E-W ; c’est  le plus au sud des Baronnies. Son flanc nord a un fort pendage vers le sud -ph21, tandis que son flanc sud est chevauché par la montagne de Lure. ph 22-23.

ph 24 -Emboîtés dans les marnes bleues, 3 chenaux de turbidites sableuses : le chenal 1 (albien moyen) et le chenal 2 (albien supérieur) sont parallèles à l’axe du synclinal donc E-W. le chenal 3 (albien sup-cénomanien inférieur) est perpendiculaire  à l’axe du synclinal, donc N-S.

Des failles normales tronçonnent les chenaux 1 et 2. ph24.

Le chenal le plus visible est le chenal 1. Les autres sont au sommet de ravines très abruptes et très hautes et sont donc inaccessibles ; de plus, l’érosion a tout enlevé au-dessus de ces chenaux. Ne restent, bien visibles, que les témoins sédimentaires issus du chenal 1 sur quelques kilomètres en étendue et sur plus de 200m en hauteur.

Voici le chenal 1 ; des boules de grès y sont bien représentées –ph25-26. On peut voir des boules de grès issues du chenal 3 près du château de Pécoule au pied du relief que domine le chenal 3. –ph24-27-28.-29.

 

Entre fin albien et fin cénomanien inférieur, par fracturation hydraulique, de l’eau et du sable (avec peut-être du méthane et/ou autres hydrocarbures) s’injectèrent dans les marnes bleues vers le haut et vers le nord, à partir du chenal 1 (pour les deux autres chenaux, il n’y a plus de témoins sédimentaires). Des sills (couches parallèles aux sédiments) s’insinuèrent dans les marnes bleues, mais aussi des laccolites (injection sableuse à fond plat et dessus bombé). Sills et laccolites  ont pu passer dans des niveaux supérieurs des marnes bleues par des filons (dykes) en forme d’aile d’avion (wings).ph 30 et colline du Puy-ph31-32-33-34.

Plusieurs autres phases de fracturation hydraulique ont injecté, toujours à partir du chenal 1, des dykes (filons qui traversent à l’emporte pièce les sédiments en place). ph35-36-37.

On peut voir des dykes qui se recoupent, d’autres qui passent dans des sills ou des wings.ph 38-39-39a.

On peut constater, également, que certains dykes sont plissés et d’autres, au même endroit, ne le sont pas. Ces fracturations hydrauliques ont donc bien connu plusieurs phases espacées dans le temps.

ph40-41 : le dyke plissé à droite a été lithifié, a subi une compression (les sédiments aussi) qui l’ont plissé avant que ne s’injecte le dyke de gauche qui, lui, n’a pas subi de déformation.

Toutes ces injections ont transporté des fluides (eau et sable) jusqu’à ce que le chenal 1 (turbidite sableuse) soit lithifié, transformé en grès. Les dernières injections ont formé des dykes de calcite-ph42  ou déposé de la calcite en bordure de dykes déjà lithifiés-ph43.

Des marqueurs de la propagation de ces injections sont visibles par endroits :

Wings (écoulements vers le haut-ph34), flute cast (figures de courant-ph44), structures en plumes –ph45-46-47-48. Ces marqueurs indiquent une propagation vers le haut et vers le Nord et l’Est-ph49 ainsi qu’ un régime d’écoulement turbulent.

Les nombreuses failles ont facilité la propagation de ces injections-ph50.

Ces fracturations hydrauliques provenant des chenaux non encore lithifiés ont des causes :

——tectoniques telles que : formation de failles dans le bassin Vocontien, avec ou non  liquéfaction des couches secouées (phénomène de thixotropie), surcharges dues aux slumps, aux turbidites, début du plissement qui va former le bombement durancien.

—–sédimentaires : taux de sédimentation important début cénomanien, enfouissement du chenal 1 sous 300 à 600m de sédiments (d’où surcharge).

Déshydratation des marnes (smectites) avec la profondeur. Cette eau  va aller dans les chenaux non lithifiés plus perméables que les marnes environnantes et augmenter la pression jusqu’à provoquer une injection de sable liquéfié.

Finalement, cette sortie nous aura montré  des sédiments très particuliers liés aux turbidites sableuses.                                                                                                                            Sédiments qui paraissaient très naturels dans un bassin, ne semblaient pas poser de problèmes, jusqu’à la lecture des articles de ces géologues avertis qui ont aiguisé notre curiosité.

 Complément : ph 51-52 grès albien d’un dyke centimétrique vu à la loupe.

On voit surtout du quartz, un peu de glauconie verte, un peu de calcite ferrifère marron.  La bordure du dyke est altérée. Aucune porosité visible.

ph53- autre vue sur la colline du Puy                                                                                                          ph54- vue sur Pierre Avon, affleurements les plus à l’Est.                                                              ph55- débris d’ammonites dans les marnes.                                                                                       ph56- pendage des marnes rebroussé au contact d’un dyke.                                                       ph57-58- dykes et structures en plume.                                                                                                ph59- dyke de calcite.